« Tant la solitude me comble que le moindre rendez-vous m'est une crucifixion, enfin , en fait, ça dépend.
Aujourd'hui j'ai croisé J. au travail.
J . que j'avais déjà croisée aux Briconautes, tout pour la bricole, où j'étais avec ma soeur, samedi dernier, alors que j'étais allée acheter un plan de travail de cuisine à vingt deux euros quatre ving dix, parce que j'ai une vie formidable. On s'était dit bonjour, eh qu'est c'tu fous là ? haha , je te présente ma soeur, j'te présente mon mari , ha ben ça alors le monde est petit et autres trucs d'un intérêt fulgurant.
J. était là, avec d'autres collègues et elle me dit "Je parlais justement de toi, tu sais quand on s'est vu aux Briconautes, je disais comment ta soeur et toi vous avez rien, mais alors rien à voir ...."
Et alors que j'allais , avec le sens de la répartie sidérant qui me caractérise, répondre "Oui, c'est vrai" , une autre collègue intervient et s'écrie: "Oui, elle nous disait que ta soeur elle était super belle"
J'ai eu honte pour elle.
Chaque fois que j'ai cette espèce de nostalgie, entre l'angoisse du rien et le manque de tout, un peu comme une faim, mais sans aucun appétit, chaque fois que je rêve d'un semblable avec qui parler, un ami en quelque sorte, un amour de toutes les façons, je te jure, je prends un CD, ou un livre. Je me console A L'AVANCE de la désillusion à venir. Car vois-tu, la déception, elle, a toujours répondu à toutes mes attentes. En quelque sorte, la déception, c'est la seule qui ne m'ait jamais déçue.
Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours été entourée, je n'ai jamais vécu seule: famille, colocation étudiante, partouze sympathique chez les uns ou les autres, puis vie de couple. J'ai donc toujours été très entourée, et je me suis toujours, à deux comme à cent, du plus loin que je me souvienne, sentie seule comme un rat. De quoi faire du sentiment de culpabilité (mon dieu pourquoi je me sens seule alors qu'ils sont venus, ils sont tous là..., ingrate que je suis) une sorte d'organe , au même titre que le coeur ou le foie. Un truc inarrachable. Je me sens coupable parce que j'ai l'habitude, c'est la seule chose que je sais faire avec une certaine certitude chante cette fille dont le nom m'échappe, morte à même pas quarante balais, histoire de rendre son propos encore plus saisissant. C'est peut être pour ça que j'ai toujours confondu le conflit et le bruit avec le dialogue, le contrôle et le règlement de comptes avec l'idée de présence humaine.
Aujourd'hui, chaque nuit seule dans mon 160, je mesure à quel point tout me semble finalement exactement pareil que quand le lit était plein.
Un grand truc vide et pourtant surpeuplé, un peu comme une rue d'Hô Chi Minh où des milliards de gens se croisent, s'étouffent et s'asphyxient sans jamais même se frôler.