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Chroniques de la souffrance, haine et pizzas.
14 avril 2013

Je vous emmerde !

"Je vous emmerde !"

Cette sentence, qu'elle avait presque hurlée dans le restaurant, fut suivie d'un silence de stupeur. Seul un enfant fit tinter sa cuillère en remontant sa main à sa bouche, comme horrifié. Les serveurs avaient levé un regard inquiet en direction du maître d'hôtel, lequel arquait maintenant ses sourcils broussailleux pour exprimer à la fois sa stupéfaction et sa gêne devant cette petite dame frêle qui pointait sa fourchette argentée vers son visage.

Cette dame frêle, c'était Sarah. Sarah avait fêté 86 Saint-Sylvestre (ou est-ce 85 ? 87 ? Qu'importe à cet âge, disait-elle, c'est du rab' donné par le Très-Haut)  et, grâce à Dieu, son cerveau fonctionnait encore bien. "Assez pour qu'on ne m'arnaque pas sur ma monnaie" disait-elle. Son corps, rabougri mais fonctionnel, donnait l'impression que la gravité l'avait battue au bras de fer. Ses lunettes d'acier se perchaient sur un nez épaté et masquaient, par leur épaisseur, de grands yeux noirs rieurs et intelligents.

Ce dimanche d'avril, elle avait invité son petit-fils dans le grand restaurant de la ville. Avec serveurs en costume dans la salle et menus gastronomiques en cuisine. "Quel honneur mamie !" avait-il lancé. "Ce n'est pas tous les jours ton anniversaire" avait-elle répondu joyeusement.

Lui était habillé de son costume en velours couleur cassis, celui des grandes occasions. Elle n'avait pas fait autant d'efforts, elle ne voulait pas attirer l'attention (elle grognait toujours lorsqu'elle y pensait : ne pas attirer l'attention, moi. Et puis quoi encore ?) alors ce fut la robe noire en coton avec le gilet assorti. Ni trop simple, ni trop voyant. C'était un restaurant après tout, pas un rendez-vous galant.

Ils s'étaient assis dans une table excentrée du Grand Restaurant, placés là par une quelconque hôtesse ("cette femme respire la vulgarité, ne regarde pas Michaël !"). Tous les avaient suivis du regard, certains avaient même momentanément suspendu leur bouchée.

C'était le maître d'hôtel en personne qui s'était déplacé pour prendre commande. Aucun impair, on savait se tenir dans un Grand Restaurant. Le petit fils était impressionné, Sarah soulagée. Il avait pris des côtelettes d'agneau avec des frites, qu'il avait réussi à déchiffrer seul sur la grande carte luxueuse, et elle simplement une soupe et un salade verte : "à mon âge, on évite de mâcher".

Faisant demi-tour soudainement après avoir enregistré la commande de Sarah et du jeune enfant, le maître d'hôtel s'excusa et demanda poliment :

- Mangerez-vous avec les mains ?

- Je vous emmerde ! s'était-elle écrié.

L'histoire ne dit pas si le maître d'hôtel était mal intentionné ou pragmatique. Mais il n'était vraiment pas facile d'être noire au Texas en 1950.

 

 

 

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Commentaires
N
ça m'a beaucou plu, c'est très touchant même si y des noirs.
Y
Je vous emmerde!
K
Tu sachesa pas lire, Yael, il a écrit "noirE" ...
B
Putain Yael t'as une imaginations de coquelet
Y
nan parceque c'est pas logique Byby qu'on laisse entrer la grand-mere noire dans un resto huppé en 1950, d'ou l'incomprehension.
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