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Chroniques de la souffrance, haine et pizzas.
12 avril 2013

Vous avez la parole, Maître

Une fois n'est pas coutume, je ne vais pas écrire quelque chose d'amusant. Rassurez-vous, pas dépressif non plus.


Pour ceux qui ne le sachent pas, dans la vraie vie, je ne fais pas le Bee Gees, même si je porte une robe. Le même genre de robe que Robert Badinter ... et que celui qui est mon Maître (oui, même le Chef a un maître).

Lorsque j'ai eu mon diplôme, la première chose que je me suis dit a été que je n'exercerai jamais, car je voulais faire Paul McCartney, comme métier.

Mais, étant chef, je sachais que devenir Paul McCartney me prendrait des années (tu m'étonnes) et que pendant ce laps de temps plus ou moins long, il me faudrait trouver de quoi nourrir mon cheftal corps d'athlète grec (oui).

Fort de cet éclair de génie purement cheftalique (mais qui, bien évidemment, ne me demanda aucun effort, Chef touch oblige), je me rendis donc à l'ancêtre du Pole Emploi, j'ai nommé l'ANPE.

Après une attente de 0 minute (car oui, on ne fait pas attendre le Chef), je fus reçu par une conseillère qui, après avoir regardé son écran, probablement en quête d'une photographie lui permettant de confirmer que, oui, c'était bien le Chef qui était en face d'elle, me dit, d'une voix brisée par l'émotion de la découverte qu'elle venait de faire : "je vais chercher votre dossier".

15 minutes (le temps de faire courir le bruit que le Chef était dans leurs locaux) plus tard, elle revient, l'air fort marri, et me dit : "ben désolé, vous avez trop de diplômes, on a rien pour vous ..."

Bien évidemment. Aucun travail ne convient au Chef. Sauf être le Chef. Once again, CQFS.


Bref. Pris de colère (oui, le chef a de très légères tendances colériques, ayant notamment coûté la vie à plusieurs ordinateurs. Mais c'étaient des PC, donc ça compte pas), je me rendis donc dans l'un des cabinets d'avocats où j'avais fait l'un de mes pré-stages durant mon année de formation et où l'un des deux associés m'avait impressioné.

Je frappai donc à la sonnette et j'ouvris la poignée.

Le Maître-Chef me reçut et immédiatement, reconnaissant certainement le Padawan-Chef en moi, un dialogue cheftalique s'installa entre nous.

- Vous venez pour une collaboration ?

- oui (il sachait ...).

- OK. Je suis d'accord sur le principe, mais il faut que j'en parle à mon associé, je ne suis pas le seul à décider (tu parles, j'avais déjà saché que c'était lui le Chef et que c'était bon). Vous toucherez 309580398509438509843 euros, avec augmentation au bout d'un an. Venez le 15 février et on commencera.

- OK.

Voilà. Un entretien d'embauche entre chefs.

Et c'est ainsi que je devins le collaborateur de cet homme extraordinaire.

Physiquement, il ressemblait à Robert Badinter et professionnellement, c'était un avocat de ce calibre.

Son maître est mort 3 mois après qu'il ait prêté serment ... Avec 3 mois de barre, il a repris tous ses dossiers ... et n'en a perdu aucun.

3 mois de barre ... y en a qui n'en ont toujours pas gagné un après 15 ans ...


Je ne l'ai vu plaider qu'une seule fois, mais j'en ai gardé un souvenir extrêmement fort, car tout y était : le ton, la voix, l'assurance, l'argumentation absolument parfaite, les mots qu'il fallait, la démonstration ... et la petite phrase qui tue : " ... et il a fallu lui mettre le nez dans son pipi pour qu'il reconnaisse sa faute !!"


De n'importe quel autre avocat, cela aurait semblé ridicule et presque insultant pour le Tribunal. Pas pour lui.

Il a gagné son dossier, bien entendu.

Je suis parti de chez lui en septembre 2006. Pas à cause de lui ...

Un mois et demi après, je suis retourné au Cabinet, pour aller leur faire un petit coucou à tous. A peine entré, je vois à la tête de la secrétaire que quelque chose n'allait pas.

- qu'est ce qu'il vous arrive ? Vous en faites une tête ...

- Maître B... a un cancer. Il n'en a plus que pour 2 ou 3 mois.

...

Rien qu'en écrivant cette phrase, j'en ai encore le frisson.


Ca n'a pas duré 2 ou 3 mois, mais à peine un mois et demi.

Il m'impressionnait déjà avant sa maladie. Mais là, il a tout dépassé ...

En une quinzaine de jours, il a tout réglé : la vente de ses parts, son successeur, l'avenir de sa femme ...

Jusqu'aux courriers qu'il a écrit lui-même à ses clients, pour leur annoncer que sa santé le contraignait à cesser d'être Avocat. Je n'ose même pas imaginer la force qu'il faut avoir pour faire cela ...


Je me souviens aussi d'un soir où il était revenu travailler, où on avait un peu discuté de sa santé ... et il était reparti dans son bureau. Je l'avais regardé partir, en me disant qu'il fallait absolument que je garde le plus d'images possible de lui avant ...

Je me souviens des visites que je lui avais faites à l'hôpital, peu de temps avant sa mort : il ne s'est JAMAIS plaint une seule fois. J'y ai repensé récemment, en voyant quelqu'un exactement l'inverse ...


Ce sont ces images là que j'ai gardées et que je garde encore de lui.

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Commentaires
N
Kini, j'en ai les larmes aux yeux. Mais c'est pas à cause du vin ni des 5 h et demi du matin. C'est que et d'une, ça me rappelle trop de choses, et de deux (dans le désordre) j'en suis émue à un point de non retour. Sans blague.
A
exactement. Tres beau témoignage, kini. Je te hais plus que jamais
Y
Hommage emouvant, Kini. On a envie de connaitre ce type rien qu'en lisant. <br /> <br /> Qu'il repose en paix.
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